Nous ne connaissons personne aujourd’hui qui dirait qu’il faut maltraiter les enfants. Mais la grande majorité des parents que nous avons rencontrée préconise les tapes sur les petites mains des bébés, les fessées et les gifles comme moyens éducatifs.
C’est pourquoi nous souhaitons ouvrir avec les lecteurs une discussion sur ce problème. Nous voulons informer les parents de bonne volonté qui acceptent de remettre les vieilles idées éducatives en cause des conséquences de ces coups prescrits et banalisés. Nous les invitons à réfléchir avec nous sur ces méthodes héritées d’un temps où on croyait le bébé si insensible qu’on se permettait de l’opérer sans analgésique. Depuis dix ans, face à ces nouvelles connaissances, nous ne pouvons plus nous taire. Avec ces informations nous espérons aider de nombreux jeunes parents.

Alice Miller , psychanalyste, Docteur en Psychologie, pose trois grandes questions et y répond:
I Pourquoi les fessées, les gifles et même les coups apparemment anodins comme les tapes sur les mains d’un bébé sont dangereuses?
1- elles lui enseignent la violence
2- elles détruisent la certitude sans faille d’être aimé dont le bébé a besoin
3-elles créent une angoisse: celle de l’attente du prochain châtiment
4-elles sont porteuses d’un mensonge: elles prétendent être éducatives, alors qu’en réalité elles servent aux parents à se débarrasser de leur colère, et que , s’ils frappent, c’est parce qu’ils ont été frappés enfants
5-elles incitent à la colère et à un désir de vengeance qui restent refoulés et qui s’exprimeront plus tard
6-elles programment l’enfant à accepter des arguments illogiques : je te fais mal pour ton bien, et les impriment dans ses cellules
7-elles détruisent la sensibilité et la compassion envers les autres et envers soi-même et limitent les capacités de connaissance

II Quelles leçons à long terme le petit enfant retient-il des fessées et autres coups?
1-que l’enfant ne mérite pas de respect
2-que l’on peut apprendre le bien au moyen d’une punition ( ce qui est faux car en réalité, les punitions n’apprennent à l’enfant qu’à punir à son tour )
3-qu’il ne faut pas sentir la douleur, qu’il faut l’ignorer, et cette anesthésie peut être dangereuse pour le système immunitaire
4-que la violence fait partie de l’amour ( leçon qui incite à la perversion)
5-que la négation des émotions est salutaire (mais c’est le corps qui paie le prix pour cette erreur, souvent trop tard)
6-qu’il ne faut pas se défendre avant l’âge adulte

III Comment se libère-t-on très souvent de la colère refoulée?
dans l’enfance et l’adolescence
1-on se moque des plus faibles
2-on frappe les copains
3-on humilie les filles, symboles de la mère
4-on agresse les enseignants
5-on vit des émotions interdites devant la télé ou les jeux vidéo en s’identifiant avec les héros violents. Les enfants aimés et jamais battus ne s’intéressent pas aux films cruels ni ne produiront de films atroces, une fois devenus adultes.
à l’âge adulte
1-on perpétue soi-même la fessée comme un moyen éducatif apparemment efficace qu’on conseille vivement aux autres, sans se rendre compte qu’en vérité on se venge de sa propre souffrance sur la prochaine génération
2-on refuse de comprendre les relations entre la violence subie jadis et celle répétée activement aujourd’hui.On entretient ainsi l’ignorance de la société
3-on s’engage dans des activités qui exigent de la violence
4-on se laisse influencer facilement par les discours de certains politiciens qui désignent des boucs émissaires à la violence qu’on a emmagasinée et dont on peut se débarasser enfin sans être puni: races “impures”, ethnies à “nettoyer”, minorités sociales méprisées
5-parce qu’on a obéi au parent violent, on est prêt à obéir à n’importe quelle autorité qui rappelle l’autorité des parents, comme les allemands ont obéi à Hitler, les Russes à Staline, Les Serbes à Milosevic.

Mais affirme Alice Miller, inversement on peut prendre conscience du refoulement et du déni universel, essayer de comprendre comment la violence se transmet de parent à enfant et cesser de frapper les enfants quel que soit leur âge. On peut le faire (beaucoup y ont réussi) aussitôt qu’on a compris que les raisons et les conséquences de la maltraitance à l’enfant sont les mêmes: l’histoire refoulée des parents.

Suzanne Robert-Ouvray, Docteur en Psychologie et Victimologue, propose de prendre connaissance de certaines conséquences physiques et psychologiques engendrées par les tapes sur les mains, les fessées, les gifles.
Les parents donnent des fessées aux bébés et à leurs enfants plus âgés parce qu’ils ont dépassé leur seuil de tolérance aux manifestations émotionnelles et à l’expression de l’enfant. Ce seuil peut être très bas chez certains parents, voire nul; car certains parents n’acceptent aucun signe de mécontentement, d’opposition ou de rébellion de la part de leur enfant aussi petit soit-il. Ils ont en tête qu’un enfant doit être dressé très vite pour être obéissant et bien inscrit socialement.
En fait les parents qui battent leur enfant ont eux-mêmes été victimes de mauvais traitements lorsqu’ils étaient petits. Le plus souvent il y a un refoulement des souvenirs liés aux brutalités mais l’inscription corporelle reste présente sous forme de tensions musculaires, d’un réflexe myotatique exacerbé, de brusques accès d’énervement, de tensions ventrales intolérables, de démangeaisons dans les membres et d’un “tournis” dans la tête. Ces parents ont un seuil très bas de tolérance aux oppositions et aux pleurs des enfants car ils sont dans un double mouvement contradictoire qui provoque une sorte d’explosion interne; d’une part, ils revivent sans le savoir leur détresse de nourrisson ou de petit enfant, détresse qui n’a jamais été prise en compte en son temps, et d’autre part , ils revivent l’attitude de leur parent violent et les sentiments qu’ils ont perçu en les regardant hurler, se déformer et se transformer en “monstre”. La violence que l’enfant a reçue avec les coups et la violence qu’il a perçue chez son parent se sont inscrites dans son psychisme et dans son corps sans pouvoir jamais s’intégrer, c’est à dire sans pouvoir s’assimiler à leur organisme. En grandissant le vécu émotionnel reste comme un bloc de souffrance qui, à moins d’une inhibition complète ou d’une reconnaissance par autrui , explose sur le corps de l’enfant.

Quand on donne des fessées aux enfants , quand on les gifle, quand on les bat
1-on leur apprend la soumission à des personnes et non le respect de la loi. La délinquance sera une des conséquences . Plus l’enfant sera soumis, plus le contraignant fera l’économie d’une pression lourde. Il suffira qu’il dise: “Je t’ai à l’oeil” pour que l’enfant “file doux” .
2-les fessées et les coups viennent à la place d’un parole structurante. Le vocabulaire, la syntaxe et la grammaire ne seront plus utiles à ces enfants qui ne peuvent vivre que dans le présent. Il y aura beaucoup d’échecs scolaires. L’enfant apprend qu’il vaut mieux frapper que causer .
3-l’enfant doit contrôler la violence des parents .Les coups hypermaturent l’enfant: on le laisse ainsi décissionnaire de sa vie: “Si tu prends une fessée , c’est que tu l’as cherchée” “Si tu n’aimais pas, tu ne m’aurais pas poussée à bout ”.. “tu n’as qu’à faire ce que je te dis , il ne t’arrivera rien du tout”.
4-on interdit ainsi à l’enfant de penser l’attitude d’autrui. Tout est de sa faute. L’enfant doit faire attention à tout ce qu’il fait, tout ce qu’il dit, tout ce qu’il touche pour ne pas exciter son parent. Il perd son innocence et sa spontanéité . L’enfant grandit avec une exigence interne de réussir à faire pour l’autre en s’oubliant soi-même. Avec ce contrôle l’enfant n’a pas le droit à l’erreur; il devient exigeant avec lui-même au point de ne plus rien faire puisque ce ne sera jamais assez bien
5-elles rendent l’enfant peureux et lui font perdre sa spontanéité. La peur s’ancre dans les cellules.
6-le parent violent fait croire à l’enfant que les plus vieux ont toujours raison par rapport aux plus jeunes
7-les coups font perdre les repères de l’enfant. L’enfant sans repères ne peut pas anticiper ,prévenir, fantasmer son action future . L’enfant ne vit que dans le présent . Comme ils n’ont pas de repères affectifs, les enfants vont chercher dehors des moyens de s’orienter et de donner un sens à leur vie. En grandissant ce fonctionnement se complique: l’adulte cherchera des signes dans l’attitude d’autrui, dans une porte ouverte, dans un bureau fermé, etc…tout sera interprété comme signe du destin
C’est apprendre aux enfants que le destin compte plus que la création. Cela peut conduire à des superstitions invalidantes
8-de ce fait le sentiment d’abandon s’ancre dans l’enfant
9-les fessées dévalorisent, humilient l’enfant et lui font perdre son sentiment d’estime en soi
10- elles diminuent les capacités de tendresse
11-les fessées et les gifles font barrage à l’enfant pour créer un lien avec son parent. L’enfant est dans un rejet de la dépendance préjudiciable pour le futur, car nous avons tous besoin d’autrui. Les enfants battus seront alors vite isolés, en marge puis marginalisés.
12- la violence crée du vide entre le parent et l’enfant et ce vide entraîne le collage de l’enfant à son maltraitant . L’enfant se construit donc avec une image de la relation de l’ordre de la possession. Dans le couple plus tard, les relations de possession sont très passionnelles: tout ce que l’un donne à un tiers, c’est autant que l’autre aura en moins. Les relations de possession entraînent des drames familiaux.

13-envahi de douleurs et d’angoisses, l’enfant tente de maîtriser ce qui lui arrive avec ses fantasmes: les fantasmes se complexifieront en fonction du développement et des événements de la vie. Lorsque ces constructions psychiques se complexifient avec la sexualité , nous trouverons des fantasmes sado-masochistes, pervers , incestueux, sadiques.
14- les fessées résonnent sur le bas de la colonne vertébrale du petit, entraînent une contraction de tous les muscles de la colonne vertébrale et peuvent provoquer des maux de tête;l’enfant est “sonné .Le choc corporel peut inhiber les capacités de penser de l’enfant
15- au niveau physiologique, les fessées et les gifles atteignent le tissu humain. Le tissu humain est formé de cellules, les blastes. ces cellules sécrètent deux protéines de constitution; le collagène et l’élastine. Si le tissu supporte des tensions trop fortes et répétitives, les fibres collagène s’installent en parallèle, et les faisceaux conjonctifs se multiplient et c‘est la densification du tissu. Il devient plus compact, plus résistant et il perd de sa souplesse et de son élasticité. Il perd de sa sensibilité.
16-le réflexe myotatique fait que tout muscle étiré se contracte pour résister à l’étirement. Si le trauma est trop important le muscle a tendance à se raccourcir et à se mettre en hypertonicité comme si l’étirement traumatique continuait son action pendant des mois et des années. C’est un myospasme post traumatique persistant. Bon nombre de dorsalgies et de lombalgies précoces et tardives sont liées à des fessées reçues lorsque l’enfant avait moins de cinq ans.
18-Il y a des crampes qui s’installent. A noter que les enfants battus qui font du sport évacuent certaines tensions et peuvent en partie échapper aux dorsalgies et aux scolioses.
19-La somatostatine est une hormone libérée par le pancréas en réponse à une augmentation importante de glucose et d’acides aminés dans le sang lorsque l’enfant est fessé ou giflé. Elle inhibe à la fois la libération de l’insuline et du glucagon qui diminuent le sucre dans le plasma. La somatostatine diminue l’activité digestive des intestins. Elle prolonge ainsi le temps pendant lequel les aliments vont pouvoir être absorbés au niveau intestinal et donc ils vont rester plus longtemps disponibles pour fournir de l’énergie à l’organisme stressé.
L’enfant battu fait des réserves de force corporelle et psychique pour passer l’épreuve de la violence et pour subir le prochain assaut de la part de l’adulte qui le violente. Un mécanisme de ralentissement et d’économie se met en place au niveau de ses intestins .
C’est également une neurohormone produite par le thalamus qui inhibe la libération de l’hormone de croissance par l’hypophyse.L’enfant battu voit sa croissance ralentir car la libération de somatostatine inhibe l’hormone de croissance active pendant le sommeil(les enfants battus dorment mal).
20-l’enfant se vit du dehors avec le sentiment de se dépersonnaliser .L’enfant garde un petit espace de liberté dans sa tête mais son corps ne peut que subir. De nombreux enfants battus se sentent lâches parce qu’ils étaient révoltés dans leur tête mais qu’ils ne pouvaient rien faire avec leur corps. Ceci accentue le sentiment de dévalorisation de soi
21- les coups que reçoit l’enfant ne peuvent pas s’intégrer parce qu’ils sont trop forts. Si l’enfant se calme c’est parce qu’il est sidéré et terrorisé. Il n’a rien assimilé. Mais le temps est distordu; les enfants battus font des adultes qui n’ont pas conscience du temps qui passe mais qui en ont très peur.Cela entraîne également une grande angoisse autour de la maladie et de la mort, avec un sentiment qu’on leur a volé leur enfance, leur vie.
22- lorsque les mains sont frappées, que les mains ne sont pas dignes de toucher et de découvrir les objets. La capacité de création des enfants est diminuée voire annulée
23-les enfants enregistrent que le bas du corps est un lieu dévalorisé.